Après des années de bons et loyaux services, des centaines de livreurs sans-papiers ont été renvoyés manu militari par la société de livraison Frichti. Les coursiers demandent à reprendre le travail ainsi que leur régularisation.
« On reste là pour leur mettre la pression ». Comme tous les jours depuis une semaine, une vingtaine de livreurs sans-papiers s’est réuni mardi 9 juin devant le « Hub » du 11e arrondissement de Paris de la société Frichti. L’entreprise qui concocte des repas pour des particuliers fait face depuis plusieurs jours à la gronde de ses livreurs.
Frichti est « le premier -super- marché qui n’a rien à cacher », selon son slogan. Et pourtant, la majorité des coursiers de l’entreprise sont sans-papiers. « Environ 85% des livreurs ne sont pas en règle », assure à InfoMigrants Arnaud, un Camerounais de 31 ans qui livre pour la plateforme depuis plus d’un an. « On s’inscrit directement sur le site avec un numéro de SIRET (qui prouve le statut d’auto-entrepreneur) et le tour est joué. Quelques heures plus tard, on reçoit le contrat de travail », explique Arnaud.
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Des centaines de sans-papiers sans ressources
Mais depuis le 8 juin, ces livreurs, majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest, ne peuvent plus travailler pour Frichti. La société a en effet envoyé un mail quelques jours plus tôt à ses équipes leur demandant « un passeport d’un État de l’Espace économique européen, une carte nationale d’identité ou un titre de séjour » pour pouvoir continuer de travailler.
Des centaines de livreurs sans-papiers se retrouvent ainsi sans ressources du jour au lendemain, certains travaillant pour la plateforme depuis plus de trois ans. « Ils ne peuvent prétendre à rien étant donné leur statut administratif », s’insurge Maître Kevin Mention, avocat des livreurs, contacté par InfoMigrants.
Selon les manifestants, l’envoi de ce mail coïncide avec la date du déconfinement en France. « Pourquoi ce mail tombe maintenant alors qu’on travaille pour eux depuis des années ? Comme par hasard, on reçoit cette note après le confinement. Ils étaient bien contents qu’on travaille à ce moment-là », souffle Arnaud qui a continué de livrer pendant la crise sanitaire. « Seuls les sans-papiers étaient présents à cette période », assure le Camerounais.
C’est en fait une enquête de Libération publiée le 1er juin, indiquant que des coursiers en situation irrégulière travaillent pour la plateforme, qui a mis le feu aux poudres.
« Frichti nous met en compétition avec les autres livreurs »
Pour Edouard Bernasse du collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), « il n’est pas étonnant que la majorité des livreurs de Frichti ou d’autres plateformes soit sans-papiers ». « Au début, c’était surtout des jeunes parisiens, des étudiants, fans de vélo, qui livraient des repas. Mais, avec la baisse des rémunérations, qui va continuer ces courses ? Les gens, très précaires, dans le besoin, donc beaucoup de sans-papiers ».
D’autant que les conditions de travail sont délétères. Un livreur est payé 5 euros de l’heure et 50 centimes par course. « Plus on livre de commandes, plus on gagne de l’argent. Frichti nous met en compétition avec les autres livreurs », raconte Arnaud. Le jeune homme donne un autre exemple : « Si on ne livre pas un jour de pluie, notre note baisse et on peut être bannis plusieurs jours de l’application qui nous permet de livrer », continue-t-il.
« Je ne peux pas prendre de jour de repos, si j’arrête de travailler un jour ils me coupent l’application les jours suivants », renchérit Ibrahima, présent devant le « Hub » du 11e. « C’est de l’esclavage moderne », estime le Sénégalais.
« La remise en cause de tout un système »
Des manifestations, organisées jeudi 4 et lundi 8 juin, ont rassemblé près de 200 personnes. Depuis, les soutiens affluent : la CGT, le Clap et des députés de la France insoumise ont fait part de leur solidarité envers ces livreurs sans-papiers. Autant d’éléments qui ont forcé l’entreprise à réagir.
Dans un communiqué, la société souligne qu’un « contrôle mis en oeuvre au début du mois de juin 2020 a fait apparaître que certains partenaires n’étaient plus en capacité de nous présenter une situation régulière », évoquant des irrégularités pour une « proportion très réduite des auto-entrepreneurs effectuant des activités de livraison pour Frichti ».
« Ils se cachent derrière l’auto-entrepreunariat. Ils continuent de dire qu’ils travaillent avec des indépendants et qu’ils ne connaissaient pas leur statut administratif », note Kevin Mention qui n’en croit pas un mot. « Ils ne veulent pas reconnaître leurs torts car c’est la remise en cause de tout leur système », poursuit l’avocat.
« Ils savaient très bien que nous n’étions pas en règle, on leur a donné nos passeports d’origine », signalent plusieurs livreurs.
Les manifestants et leur avocat demandent une aide d’urgence pour les coursiers étant désormais dans l’incapacité de travailler et la reconnaissance de leur contrat de travail, document qui appuiera leur demande de régularisation.
En attendant un signe de Frichti, les livreurs sans-papiers se montrent déterminés. « Si nous ne sommes pas entendus, on mettra en place d’autres actions, comme celle de bloquer les portes des ‘Hub’ empêchant ainsi toute livraison ».
SOURCE : https://www.infomigrants.net
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