Aboubakar Soumahoro, la voix des précaires qui s’attaque au « néo-esclavage » en Italie

Alors que la pandémie du coronavirus a exacerbé les inégalités et mis en lumière le travail en première ligne des « invisibles » en Italie, le syndicaliste très médiatisé Aboubakar Soumahoro, Ivoirien arrivé dans le pays il y a 20 ans, réclame des mesures fortes en faveur des ouvriers agricoles.

En Italie, il est une figure de la défense des ouvriers agricoles, qui sont souvent des sans papiers exploités. Aboubakar Soumahoro, écrivain et syndicaliste chevronné de 40 ans, habitué des plateaux de télévision et des réseaux sociaux, veut bousculer le système qui  »invisibilise » les précaires.

Pour ce militant, qui a publié le livre « Umanità in rivolta » (« L’humanité en révolte ») en avril 2019, le problème se situe principalement au niveau de la filière agricole qui emploie des migrants dans les campagnes pour la récolte des fruits et de légumes, moyennant des conditions de vies infernales.

« Si l’on considère qu’environ 600 000 personnes en Italie sont sans titre de séjour, on peut affirmer que nous sommes face à un échec, que ça ne fonctionne pas », clame-t-il, fustigeant un système qui fonctionne comme une mécanique  »néo-esclavagiste ».

L’Italie, dont l’économie a été mise à genoux par la crise du Covid-19, a annoncé en mai qu’elle allait régulariser des centaines de milliers de travailleurs clandestins indispensables aux secteurs de l’agriculture et des services à la personne. La ministre italienne de l’Agriculture, Teresa Bellanova, qui avait plaidé pour cette mesure, avait auparavant affirmé que quelque « 600 000 personnes [étaient] sous-payées et exploitées de façon souvent inhumaine » dans les champs italiens. « La régularisation des sans-papiers est une question économique mais aussi sociale et humanitaire », avait-elle estimé.

« On réduit des personnes à des conditions de néo-esclavage »

Aboubakar Soumahoro a lui-même fait partie de cette main d’oeuvre dénigrée. Né en Côte d’Ivoire il y a 40 ans et arrivé en Italie 20 ans plus tard, il fut un temps ramasseur de tomates sous le soleil brûlant des Pouilles, dans le sud du pays. « Je ne suis personne, je suis juste quelqu’un qui s’inscrit dans une lutte collective où l’on veut croire que les rêves peuvent devenir réalité », a-t-il déclaré modestement. « J’ai connu les mêmes frustrations, les mêmes humiliations, les mêmes inquiétudes qu’un grand nombre de jeunes Italiens. » 

De cette expérience de travailleur des champs, il a retiré une détermination farouche à améliorer les choses. Et Aboubakar Soumahoro n’entend pas se contenter des mesures de régularisation annoncées par le gouvernement, qui sont loin de régler le problème, juge-t-il. Et pour cause, ces mesures sont très limitées : les étrangers dont le permis de séjour a expiré depuis le 31 octobre 2019 peuvent demander un permis de séjour pour une durée n’excédant pas six mois, et ce jusqu’au 15 août. À la mi-juin, 32 000 demandes étaient parvenues au ministère de l’Intérieur.

Aboubakar Soumahoro pointe aussi le fait que les employeurs à qui il revient d’effectuer la démarche, moyennant une contribution forfaitaire de 500 euros, n’ont pas l’intention de le faire « car non seulement c’est trop cher, mais il y a aussi des milliers de travailleurs exclus parce que leur permis de séjour a expiré avant la date prévue » du 31 octobre.

« Nous demandons une régularisation d’un an minimum parce que dans une phase dramatique comme celle que nous vivons, on ne peut pas trouver un travail en six mois », affirme Aboubakar Soumahoro. « On utilise l’argument de la couleur de la peau ou la provenance géographique pour réduire des personnes à des conditions de néo-esclavage », fustige-t-il. Les immigrés ne sont toutefois pas les seules concernés : « Notre combat concerne aussi des Italiens qui travaillent, des misérables qui vivent dans des conditions pénibles.

Des centaines de milliers de travailleurs agricoles étrangers sont exposés en Italie au risque d’exploitation, selon les syndicats. Une partie d’entre eux sont soumis au « caporalato », forme moderne d’esclavage où des intermédiaires, souvent liés au crime organisé, siphonnent une grande partie des maigres salaires versés.

Un emballage mentionnant « produit sans exploitation des travailleurs »

Pour faire entendre ses revendications en faveur des « damnés de la mondialisation », Aboubakar Soumahoro, rare personnalité noire de la scène publique italienne, n’y va pas de main morte. Le 16 juin, lors des « états généraux » de l’économie organisés par le gouvernement pour préparer un plan de relance post-pandémie, il s’est enchaîné devant le somptueux palais romain du XVIIème où était organisé l’événement en affirmant démarrer une grève de la faim.

« Nous souhaitons faire approuver par le gouvernement une ‘licence alimentaire' », réclame Aboubakar Soumahoro, chargé du secteur agricole de l’USB, l’un des principaux syndicats du pays, indépendant.

Cette « licence » imposerait que soit mentionné sur l’emballage des aliments achetés qu’ils ont été produits sans exploitation des travailleurs. « S’il était adopté, le dispositif permettrait aux consommateurs de connaître ce qu’ils mangent et aux agriculteurs de ne pas avoir les mains liées par la grande distribution », ajoute l’activiste italien. Celle-ci « leur impose des prix qui ne leur permettent pas de vivre décemment de leur travail », accuse-t-il.

Aboubakar Soumahoro réclame également un « plan national d’urgence pour le travail » ainsi qu’une modification des lois sur l’immigration.

Les décrets sécurité, adoptés en 2018 et 2019, sont également dans le collimateur du militant. Ces textes ont introduit la suppression du permis de séjour pour raisons humanitaires, des fonds pour le rapatriement des migrants en situation irrégulière ainsi que des restrictions en matières de sauvetage des migrants en mer.

SOURCE : https://www.infomigrants.net

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